DEBAT D'IDEES  


CONFERENCIER

Jean-Luc Aubert est sollicité très régulièrement pour des conférences aux thèmes très variés mais toujours centrés sur l'enfant, l'adolescent et la famille.
Il est intervenu à l'UNESCO à Paris, au Salon Internationel de Psychiatrie à la Cité des Sciences, à des forums de la petite enfance en Belgique et en Suisse, ainsi qu'à Montpellier, Nantes, Saint-Etienne, etc... et également dans des collèges et des associations nationales ou internationales de parents.

Quelques thèmes abordés :

  • Quels repères donner à nos enfants ?
  • Etre parent aujourd'hui.
  • La nouvelle relation éducative.
  • Comment un enfant apprend-il à lire ?
  • L'autorité, oui, mais quelle autorité ?
  • La crise d'adolescence : pourquoi, comment ?
  • Le langage chez l'enfant .
  • La relation parents - enfants.
  • Intelligence ou capacité à apprendre ?
  • La motivation.
  • L'indispensable frustration.
  • Parents - enseignants : duel ou duo ?
  • Eduquer, à quoi cela sert-il ?
    etc...


CHRONIQUEUR

Jean-Luc Aubert a travaillé, en tant que chroniqueur, à la radio, avec RTL et France Bleu ainsi qu'à la télévision avec "france 5" et "france 3" Lorraine-Champagne-Ardennes (saisons 2005 - 2006)



DEBAT D'IDEES  

POURQUOI L'ECOLE DOIT-ELLE CHANGER ?

Pendant vingt ans en psychologie scolaire, j’ai côtoyé, accompagné, observé des milliers d’enfants, d’enseignants, de parents de milieux différents (une des écoles dont j’avais la charge avait un taux de chômage parental de près de 50%)…. J’ai vu se succéder maintes et maintes réformes… sans résultat probant. Aujourd’hui, comme il y a 10 ou 20 ans, près de 15 à 20% des enfants ont des difficultés à l’entrée en 6°…

Ma conviction, née de ma pratique, est celle-ci : c’est dès le départ que les enfants de milieux démunis doivent trouver des réponses à leurs difficultés à l’école.

En effet, il faut savoir que, dès les premières années de maternelle, l’école a des attentes implicites et explicites vis-à-vis des enfants qu’elle accueille. Attentes sur les plans affectifs (il doit être globalement sécurisé pour être disponible aux apprentissages), éducatifs (il doit avoir une « expérience familiale » des règles, des interdits afin d’accepter aussi ceux de l’école) et enfin culturels (il doit posséder un bagage lexical et syntaxique qui lui permette de comprendre très vite ce qui se dit en classe…).

Il apparaît, sur le terrain, que 15 à 20% des enfants de toute petite et de petite section n’ont pas ces « minima requis », ces prolégomènes que l’école attend implicitement. Ils sont en inadéquation avec ce que l’école attend d’eux… C’est aussi ce que confirment de nombreuses études de psycholinguistes (en particulier, les travaux d’A. Florin) qui notent que près de 20% d’enfants de maternelle sont en dehors de la conversation scolaire…

Lorsque, dans la pratique scolaire, on observe un groupe de toute petite ou de petite section lors de l’écoute d’une lecture de l’enseignant(e, très vite 2 ou3 enfants par groupe « décrochent » car ce qu’ils entendent ne fait pas sens : trop de mots entendus, trop de phrases leur sont étrangers. Ce sont des enfants qui, chez eux, n’ont pas la chance de bénéficier d’un bain langagier suffisamment riche : ils n’entendent et n’utilisent pas le langage qui leur serait nécessaire à l’école.

Dès l’entrée en maternelle, il y a une frange de la population scolaire qui est en décalage par rapport à ses pairs. Il est d’ailleurs vraisemblable que ce sont les mêmes que l’on retrouve avec des difficultés de lecture au CP et à l’entrée en 6°. Pour savoir lire, pour que la lecture ait de l’intérêt, pour qu’elle prenne sens très vite, il importe, d’abord, de connaître tous les mots lus et d’être familiarisé aux structures syntaxiques utilisées. Quel sens prendrait la lecture de ces lignes si celles-ci étaient truffées de termes techniques spécifiques inconnus du lecteur ? Quel intérêt aurait-elle pour celui ou celle qui ne serait pas familier du vocabulaire utilisé ?

Par ailleurs, ce déficit langagier, culturel ne fait que s’aggraver tout au long de la scolarité. Plus on « avance » dans les études plus le niveau d’attente implicite et explicite augmente… pendant que le milieu culturel familier, lui, reste le même. Comment un parent démuni peut-il aider un enfant à faire ses devoirs au-delà du CP-CE1 ? D’autant que, trop souvent, les terminologies utilisées (en grammaire, par exemple) ne sont plus les mêmes que celles qui leur avaient été enseignées lors de leur propre scolarité.

Toutes les études montrent l’incidence majeure du niveau culturel parental sur la réussite des études : si ce sont les enfants d’enseignants et de professions libérales qui réussissent le mieux à l’école c’est que le langage, la culture qui sont véhiculés à la maison sont les mêmes que ceux qu’attend l’école… où ils travaillent. Il y a là parfaite adéquation…


Pourcentage d’enfants à l’heure ou en avance en 6°

 Enseignants
93,9
97,3
 Cadres supérieurs
91,1
94,4
 Ouvriers non qualifiés
47,7
66,6
 Inactifs
49,9
57,7
 
En 1997, 97,3% d’enfants d’enseignants arrivent à l’heure ou en avance en 6° pendant que seuls 57,7% d’enfants de milieux inactifs y parviennent…
(Source : ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche cité par l’INSEE dans le « portrait social de la France : 2006 ».

Ce sont toutes ces observations qui m’amènent à dire que l’école doit changer. Qu’elle doit, dès le départ, apporter une réponse aux plus démunis.


QUELLE MATERNELLE ?

C’est donc l’accueil des 2, 3, 4 ans qui doit être fondamentalement modifié. Tous doivent pouvoir accéder à un langage suffisant, à des compétences qui vont leur permettre de suivre au mieux un cursus scolaire long et périlleux.

LA PRIORITE DOIT ALLER AU LANGAGE.
Parce qu’il va permettre d’accéder aux savoirs transmis, parce qu’il est le précurseur du « savoir lire ». Mais aussi parce qu’il est le meilleur moyen de s’inscrire dans la société, d’en comprendre les règles, les codes, d’en saisir toutes les nuances. Un déficit langagier marginalise… il suffit, pour s’en rendre compte, d’écouter parler certains adolescents en échec scolaire ou en rupture sociale pour voir que ce qui leur a d’abord manqué c’est le moyen de s’exprimer, de se faire comprendre, de se faire entendre… et d’entendre et de comprendre les autres. L’accès à un langage satisfaisant a un double objectif : une meilleure réussite scolaire, une meilleure insertion sociale. Le langage, c’est aussi, dans ce sens, une réponse à la violence.

SEULS DES GROUPES RESTREINTS (10, 12 ENFANTS)
peuvent permettre un enrichissement du langage des plus démunis. A l’heure actuelle avec 20, 25 voire 30 enfants la parole va aux « sachant déjà parler ». Ce sont eux qui s’expriment, ce qui est normal : ils utilisent un outil qu’ils maîtrisent parfaitement. Le langage s’apprend mais, surtout, il se vit : seuls des groupes limités vont permettre ces interactions. Ce sera un langage écouté, ce sera un langage utilisé. Toutes les formes d’échanges seront fournies : histoires, comptines, chants, théâtre, conversation, description, dialogue, etc… Tous modes relationnels que l’enfant de milieu culturel favorisé connaît peu ou prou chez lui au jour le jour.

PAR AILLEURS, LE GROUPE RESTREINT EST NECESSAIRE AU BESOIN DE SECURITE DU TOUT-PETIT.
Dans ce cadre, la présence, l’accompagnement de l’enseignant(e) est perçu comme rassurant par l’enfant parce qu’il est proche. Il peut répondre plus rapidement à ses besoins, à ses demandes… ce que ne peut faire la meilleure des maîtresses avec 25 enfants. Petite et moyenne sections doivent être des lieux de transition : l’enfant passera de la famille à un groupe de 10 ou 12 avant d’évoluer avec un groupe plus large. Le tout-petit a besoin, de par sa fragilité physiologique et psychique, d’un accompagnement de proximité. Il a encore besoin d’une présence forte de l’adulte : le grand groupe ne permet pas cela. Il ne s’agit pas de faire du scolaire avant l’heure, ce qui entraînerait plus précocement encore les effets de déphasage décrits plus haut. Il importe, au contraire, de préparer le terrain psychique de l’enfant. On multipliera les activités ludiques : elles sont les meilleurs vecteurs du développement de l’intelligence. Les neurosciences nous démontrent aujourd’hui ce que nous ressentions empiriquement : c’est la diversité des schémas neuronaux qui est le meilleur garant de processus cognitifs performants. Des activités ludiques diversifiées vont permettre l’enrichissement des ces « chemins physiologiques » de l’intelligence. Ils seront d’autant plus performants qu’ils seront renforcés par le plaisir. Plus tard, au cours de la scolarité ces « chemins » seront utilisés aussi pour les apprentissages scolaires… La maternelle proposera ces jeux… dont l’enfant de milieu culturel modeste ne dispose pas à la maison.

L'IMPORTANCE DES ACTIVITES PSYCHOMOTRICES.
Pour la même raison que précédemment : l’enfant apprend, aussi, par le corps. Par les activités du corps. Il n’est pas utile, ici, de décrire l’évidence des bienfaits physiques, physiologiques procurés par une activité corporelle… Mais il faut encore rappeler que nombre d’enfants, dans des appartements trop exigus, ne peuvent accéder à ces modes d’expression : le cadre de l’école doit le leur permettre. L’espace de l’école doit être utilisé dans ce sens. On sait que nombre de « concepts de base » tels que : au-dessus, près de, au milieu, etc… très utilisés dans le langage ne sont véritablement bien intégrés que s’ils sont expérimentés… Et n’oublions pas que les jeux collectifs sont, aussi, un apprentissage de la vie sociale et de ses règles…

CONCLUSION
Seule une maternelle totalement différente de celle qui existe aujourd’hui peut apporter une réelle réponse aux enfants en difficulté. Ne soyons pas naïfs : elle ne résoudra pas toutes leurs difficultés mais elle apparaît, aujourd’hui, comme la meilleure réponse possible, compte tenu de ce que nous observons de l’évolution de l’école au cours des trois dernières décennies.

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